Domenico Fisichella, Montesquieu e il governo moderato Dario Ippolito

, par Fisichella, Domenico

Domenico Fisichella, Montesquieu e il governo moderato, Roma, Carocci, 2009, 195 pages. ISBN : 8843051156 et 9788843051151

Politiste influent, déjà sénateur de la République italienne et personnalité illustre de la droite modérée, auteur d’études importantes sur les systèmes électoraux, les institutions représentatives, les partis et les groupes de pression dans les démocraties contemporaines, Domenico Fisichella est aussi un lecteur passionné et un interprète aigu des classiques de la pensée politique et sociale. Ses premières études sur Joseph de Maistre, Comte et Saint-Simon datent des années 1960. Plus récemment, sa réflexion politique a croisé la pensée de Maurras, de Hobbes et de Montesquieu.

Conservateur libéral, Fisichella apprécie Montesquieu en tant que « théoricien d’orientation conservatrice » (p. 173) et « précurseur » du « libéralisme pluraliste » (p. 168). Louangeur de la monarchie, il partage avec Montesquieu l’admiration pour la monarchie tempérée et représentative. Intellectuel convaincu de l’exceptionnalité politique de la civilisation européenne, il souligne et met en avant les raisons de l’eurocentrisme de Montesquieu. C’est dans ce cadre idéologique que le livre de Fisichella plonge ses racines. En particulier, il se veut ouvertement motivé par les préoccupations suscitées par la progressive marginalisation du Vieux Continent dans les dynamiques du monde actuel : essor de nouvelles puissances, crises économiques, montée des fondamentalismes… « Montesquieu – écrit Fisichella – nous enseigne que le gouvernement modéré ne surgit pas à partir de rien. Il est un produit de l’histoire [européenne], de sa culture, de son génie institutionnel. Ce n’est pas un hasard s’il a germé ici et non ailleurs : et pour surmonter l’épreuve du temps ce produit doit sans cesse régler ses comptes avec les passions humaines, qui sont presque toujours en décalage par rapport à lui. La nouvelle histoire, avec ses nouveaux protagonistes, sera-t-elle à même de continuer et de répéter l’exploit que l’Europe a su offrir à l’humanité ? » (p. 183 ; toutes les traductions sont nôtres).

Cette inquiétante interrogation ouverte sur le futur achève une monographie ponctuée de dizaines d’interrogatifs, qui impliquent efficacement le lecteur dans le dialogue entre l’auteur et le sujet de son étude. Dialogue fécond qui a pour objet principal la théorie des formes de gouvernement énoncée dans L’Esprit des lois et analysée – éléments après éléments – dans le travail de reconstruction critique mené par Fisichella. Le despotisme est traité dans le sixième chapitre (« Tous égaux, tous esclaves ») ; les deux espèces du type républicain sont envisagées dans les chapitres septième (« Un régime du petit monde ancien ») et huitième (« De l’aristocratie à l’oligarchie »). « La monarchie, gouvernement de la modernité » fait l’objet du neuvième chapitre. Enfin, dans les chapitres dixième (« La meilleure forme de gouvernement ») et onzième (« Les forêts et la liberté politique »), Fisichella se penche sur le paradigme du gouvernement modéré, en en considérant l’histoire, la structure et les valeurs.

Clair dans ses thèses comme dans ses argumentations, cet ouvrage ne vise pas un public de spécialistes. Il ne prétend pas non plus participer aux débats philosophiques et historiographiques sur Montesquieu, dont les différentes approches interprétatives sont entièrement négligées. Il cherche plutôt à comprendre, expliquer et vivifier la pensée riche et complexe du théoricien du pouvoir limité et de la liberté-sûreté, pour en saisir le « sens global » et le resituer « dans l’histoire des idées, des institutions et des événements politiques » (p. 151). Sous ce jour, on peut dire que l’auteur atteint son but, avec le résultat de fournir – grâce à une organisation systématique du discours et à une utilisation copieuse de la citation directe – de solides et fiables repères à ceux qui cherchent à s’orienter dans le labyrinthe de L’Esprit des lois.

Ce sont les instruments heuristiques de la politologie contemporaine qui fournissent à Fisichella la clé pour accéder à l’ouvrage de Montesquieu et la boussole pour la parcourir et en retracer la cartographie. En projetant sur elle la lumière de la systems analysis, il l’interprète comme une « macro-théorie » (p. 14) des rapports et des interactions entre le système écologique, le système anthropologique, le système social et le système politique. Au premier de ces « systèmes » sont rattachés tous les éléments de l’environnement naturel (terre, mer, climat, etc.), dans leur phénoménologie plurielle. Le second est constitué par les caractères biologiques et psycho-émotifs des hommes. Le troisième comprends une dimension culturelle (religion, coutumes, usages) et une dimension économique (production, commerce, finance, crédit, technique). Le quatrième, enfin, embrasse les relations internationales, les formes du droit et, bien sûr, les régimes politiques.

En raison des interactions systémiques repérées par Montesquieu, l’interprète de sa pensée politique doit donc considérer et examiner toutes les autres composants de sa macro-théorie des phénomènes sociaux. C’est pour cette raison que Fisichella, avant de discuter de régimes despotiques, républicains et monarchiques, et avant de réfléchir sur la vertu et l’honneur, sur le gouvernement gothique et la distribution des pouvoirs étatiques, interroge Montesquieu sur l’influence des éléments de la nature sur la vie des hommes (chap. I), sur les attribues constitutifs de l’être humain (chap. II et III), sur la dimension culturelle de la société (chap. IV) et sur les facteurs économiques de l’organisation sociale (chap. V), en sollicitant toujours le lecteur à prêter attention à la connexion entre les divers domaines de la réalité historique.

Dario Ippolito
Università di ROMA III