Août 2011

Renaud Camus, Demeures de l’esprit (France I. Sud-ouest)

, par Camus, Renaud

Visite au château de La Brède

Renaud Camus, Demeures de l’esprit (France I. Sud-ouest), Paris, Fayard, 2008
(La Brède, p. 76-91), 428 pages.

La chronique bibliographique du mois d’août 2011 se devait d’offrir une matière de saison. Occasion est ainsi donnée de revenir sur un ouvrage peu récent (2008), mais de qualité, qui offre au château de La Brède une place de choix – à commencer par sa couverture (toutes les photos – remarquables – sont de l’auteur).

On ne cherchera pas là un savoir sur Montesquieu : nombreuses sont les approximations, voire les erreurs – ainsi de la lettre, citée page 86, où Helvétius exprime à Saurin toutes les réserves que suscite chez lui L’Esprit des lois, et que l’on sait depuis longtemps apocryphe ; on ne s’en étonnera pas : la plus récente édition de la correspondance de Montesquieu, celle que signa François Gébelin en 1955 au tome III des Œuvres complètes dirigées par André Masson chez Nagel, ne se refusait-elle pas encore à l’admettre ? Et Montesquieu accomplit-il un « Grand Tour », lui qui avait près de quarante ans quand il partit pour Vienne en 1728, qui avait derrière lui une carrière de président à mortier, et qui désormais appartenait à l’Académie française ? Quant aux cinq ou six secrétaires s’activant sous la dictée, on sait maintenant ce qu’il en est. Là encore, il s’agit d’erreurs très répandues, y compris chez les spécialistes de Montesquieu, et on n’en voudra pas à un auteur qui se distingue par de tout autres qualités, tant il est sensible à l’esprit de Montesquieu, tel qu’il règne à La Brède ; cet intérêt, qui n’est ni pédant ni superficiel, suscite constamment celui du lecteur. Les remarques de Renaud Camus sur le Montesquieu « féodal » qui se laisse deviner dans les reliefs les plus anciens du château, appuyées sur de judicieuses citations de L’Esprit des lois, décèlent un esprit soucieux d’aller au-delà des lieux communs, et un lecteur attentif.

Le visiteur qu’est Renaud Camus l’est tout autant : soucieux des conditions matérielles de la visite, il s’inquiète avec raison d’horaires quelque peu anarchiques, et en tout état de cause insuffisants. Ceux-ci ont été heureusement corrigés depuis la publication de l’ouvrage (et peut-être un peu grâce à lui).

http://www.chateaulabrede.com/index.php?id=12

Sans doute reste-t-il beaucoup à faire pour ouvrir La Brède à tous ceux que Montesquieu intéresse, ou qui, comme Renaud Camus, sont sensibles à ce lieu hors du temps et de l’espace qu’est le domaine, cerné de bois, isolé du monde. Des travaux sont en cours, qui permettront d’ici 2013-2014 de reconstituer toute une partie du parc, tel que Montesquieu l’avait voulu avant ses voyages : un « tapis vert », une « charmille » dont les spécialistes ont pu reconstituer le plan. Mais d’ores et déjà, ces Demeures de l’esprit donnent une saveur nouvelle à ce qu’on appelle traditionnellement et parfois paresseusement des « maisons d’écrivains ». Bien loin du dépliant touristique (qu’on lise aussi les pages consacrées à Nérac, Estillac ou Hautefort, ou encore au château du Cayla, haut lieu de Maurice et Eugénie de Guérin : il n’est pas besoin pour les apprécier d’être sectateur ni même lecteur de ces deux figures généralement tenues pour mineures), Renaud Camus introduit une véritable réflexion sur la relation qui se crée entre un lieu et un homme.

Catherine Volpilhac-Auger

ENS de Lyon

Voir en ligne : Société des lecteurs de Renaud Camus