Jacques Clémens, « Montesquieu “bienfaiteur” de la terre de Montesquieu en 1751. Témoignages inédits des Latapie père et fils en 1779 » C. Volpilhac-Auger

, par Volpilhac-Auger, Catherine

Jacques Clémens, « Montesquieu “bienfaiteur” de la terre de Montesquieu en 1751. Témoignages inédits des Latapie père et fils en 1779 », Bulletin de la Société archéologique et historique de l’Albret, 2017, no 39, p. 1-55.

Ouvrage sans ISBN, pouvant être commandé (25€) auprès d’Alain Broqua, 26 avenue Maurice Rontin, 47600 Nérac.

Ce très abondant article, fort d’innombrables références archivistiques, nous a semblé mériter d’être évoqué pour de multiples raisons, et pas seulement pour le sujet évoqué dans le titre ; l’érudition ainsi déployée doit être connue, d’autant que cet imprimé risque d’être peu diffusé. De nombreux documents originaux sont produits, qui contribuent d’abord à restituer l’histoire de la baronnie de Montesquieu, en remontant jusqu’au XIVe siècle [1] Un point important est soulevé, un « secret de famille » soigneusement tu au fil des générations, mais révélé par les Histoires tragiques que Belleforest publie à partir de 1570 : l’inconduite de Jacques Secondat, l’un des fils d’un ancêtre de Montesquieu, Pierre II (de) Secondat (1490-1560). Cet honorable chanoine, fondateur d’un collège à Toulouse, est coupable d’un viol collectif perpétré à Agen ; la victime en est la femme d’un commis de son père [2]. Quant à l’aïeul de Montesquieu, une brillante carrière dans l’administration des finances de sa province en avait fait le receveur des tailles du roi en Armagnac, ce qui lui permit d’acheter la seigneurie de Roques en 1529. La famille bénéficie alors de tous les appuis et de toutes les connivences possibles, jusqu’à ce que ses abus et malversations soient dénoncés : Pierre de Secondat est condamné à la pendaison et à la saisie de ses biens, son fils Jean (1515-1599) et leurs complices à de fortes amendes (p. 5). Tel est le passé peu glorieux de la famille Secondat, si l’on en croit cette source.

Rectifions immédiatement ces points : ces « informations » proviennent d’une œuvre certes fortement liée aux affaires du temps, mais dont la valeur historique est très contestable ; l’enquête devrait être poursuivie avant que l’on puisse conclure. Sans doute aurait-il fallu préciser que Pierre de Secondat a été réhabilité de manière posthume en 1580, et que les récits horrifiques de Belleforest ne sont pas toujours frappés du sceau de l’objectivité : il est très opposé aux protestants ; or les Secondat avaient des sympathies avouées pour le protestantisme, ce qui explique son animosité à leur égard [3]].

Mais l’essentiel réside dans deux témoignages inédits provenant l’un de la bibliothèque municipale de Bordeaux (Ms 2579), l’autre de la famille Latapie ; c’est en dire la valeur. Dans les deux cas, le témoin est Pierre Latapie, « juge et notaire » de Montesquieu, qui entend ainsi faire connaître un acte de générosité. On en tirera maints enseignements sur la vie de Montesquieu et celle des paysans, à qui il fait distribuer des grains au plus fort de la famine, en décembre 1750 à Montesquieu, et à plusieurs reprises à La Brède ; on peut aussi relever des remarques importantes pour l’histoire du château de La Brède. Le second document, pour l’essentiel inspiré du premier, apporte néanmoins des éléments supplémentaires précieux ; mais il faudrait passer au crible le rôle de secrétaire de Montesquieu que s’attribue « François Paul » Latapie (il se serait donné lui-même le prénom de « François de Paule »), et de ce fait examiner avec circonspection chacune de ses affirmations : il fait allusion à une anecdote concernant La Brède qu’il situe avec précision durant l’hiver 1754, « un an avant [l]a mort » de Montesquieu ; or durant cette période Montesquieu est à Paris. Lapsus ? Erreur minime ? D’autres documents familiaux sont plus convaincants et devraient permettre de compléter l’enquête.

Les amateurs d’érudition trouveront donc leur bonheur dans ces pages, qui devront manifestement alimenter la recherche.


Catherine Volpilhac-Auger

ENS de Lyon, IHRIM

Notes

[1Une copie des coutumes de Montesquieu en 1348 datant de 1604 est signalée dans les fonds de la bibliothèque municipale de Bordeaux (cote non fournie) ; une publication prochaine en est annoncée.

[2On remarquera que cette femme n’est pas évoquée, seul étant mentionné à la page 5 « le mari bafoué ». On a beau faire la part des usages du temps, on a du mal à admettre aujourd’hui qu’une affaire de viol puisse être évoquée seulement comme une atteinte aux droits du mari – d’autant que le récit de Belleforest parle abondamment de cette femme.

[3Voir Le Cinquiesme tome des histoires tragiques, Hervé-Thomas Campagne éd., Droz, 2013, p. XCVII-C.]. Il faudrait donc être beaucoup plus prudent, et procéder à des vérifications[[On remarquera notamment que le coupable supposé, Jacques Secondat, était le frère, et non le fils, de Pierre II. Signalons à titre de complément qu’il a fondé le collège Secondat (ou de Madiran) à Toulouse, en 1554 (Archives départementales de la Gironde : 19D1. Testament de Jacques de Secondat, chanoine de Saint-Etienne, ancien prieur de Madiran, vicaire général de l’archevêque de Toulouse, en faveur d’un établissement destinés à cinq étudiants et un prêtre, originaires de Madiran ou des environs ; voir aussi Bordeaux, bibliothèque municipale, fonds de La Brède, Ms 2801 ; ce collège a été supprimé en 1572, sans doute après la mort de son fondateur : voir les Mémoires de l’Académie royale des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, 1884, p. 85). De manière générale, on doit aussi reconnaître que les références de cet article ne sont pas toujours rigoureuses, et que les remarques les plus intéressantes et neuves se mêlent souvent à des approximations ou à des faits très connus par ailleurs, au sein d’une prolifération de développements parfois difficiles à suivre