Un bel ouvrage et un amalgame Librairie Camille Sourget

, par Volpilhac-Auger, Catherine

La Librairie Camille Sourget propose au prix de 35 000€ un "Précieux et superbe exemplaire relié en maroquin de l’époque provenant de la Bibliothèque de Montesquieu au château de la Brède et portant le cachet de sa bibliothèque sur les titres".

Il s’agit de la célèbre Bible dite de Saurin, Discours historiques, critiques, théologiques et moraux, sur les evenemens les plus memorables du Vieux et du Nouveau Testament, 1728-1739 (La Haye, Pierre de Hondt, 6 volumes in-folio), superbement illustrée (215 gravures hors-texte).

La reliure en maroquin rouge en renforce l’intérêt et contribue à en justifier le prix.

On sera attentif à la mention « provenant de la Bibliothèque de Montesquieu au château de la Brède et portant le cachet de sa bibliothèque sur les titres », en rappelant que tout ouvrage provenant de la bibliothèque de La Brède n’a pas nécessairement appartenu à Montesquieu ; « provenant de la bibliothèque de Montesquieu au château de La Brède » doit donc s’entendre comme « provenant de la bibliothèque du château de La Brède, où ont été conservés également les livres ayant appartenu à Montesquieu ».

De fait, le Catalogue de la bibliothèque de Montesquieu ne signale pas cet ouvrage monumental, qui aurait fait exception dans une bibliothèque de travail où les reliures en maroquin sont rarissimes ; et il ne porte pas son ex-libris. Il n’a donc aucun rapport avec Montesquieu et a été acquis par un de ses descendants.

On ne fera pas fond sur la mention finale du catalogue Camille Sourget :

La provenance de ce précieux exemplaire de la célèbre Bible protestante est d’autant plus passionnante lorsque l’on se souvient de la ferveur catholique de Montesquieu à la fin de sa vie.
Ainsi, l’Année littéraire, à moins de distance d’un mois de l’époque de la mort de Montesquieu résumait fidèlement les faits en ces termes : « La Religion est devenue l’espoir unique de Montesquieu, et son dernier asyle. Il lui a soumis son cœur, son esprit et ses ouvrages ; il a demandé qu’on retranchât de ses livres tout ce qui pouvait blesser le chrétien et le catholique. Il s’est confessé et a reçu les sacrements de l’Église. M. le curé de Saint-Sulpice l’a exhorté avec cette sagesse, cette douceur et cette onction qui caractérisent le pasteur tendre et éclairé. Les pères Castel et Routh, jésuites, ont eu aussi l’honneur de recueillir les derniers soupirs de ce grand homme. »

La supposée ferveur catholique (tardive) de Montesquieu, qui aurait de toute manière peu à voir avec l’intérêt bibliophilique manifeste d’un tel exemplaire, est une pure invention : elle relève d’une propagande religieuse peu regardante sur la vérité des faits et le respect de la volonté des croyants.
Dans ses derniers moments, Montesquieu s’est soustrait de toutes ses forces à l’emprise des jésuites et a refusé tout retranchement et toute correction dans ses ouvrages, malgré les tentatives du père Routh, dépêché par sa hiérarchie pour arracher au mourant une rétractation en bonne et due forme. Le père Routh a tenté de faire prévaloir l’idée qu’il l’avait obtenue et en a fait circuler un récit circonstancié, qui fut démenti par maint témoignage.

Catherine Volpilhac-Auger (IHRIM, UMR 5317)

Voir en ligne : Camille Sourget Librairie