L’"Acte de bienfaisance" : une double supercherie en 1775 ?
La livraison de mai 1775 du Mercure de France donnait le récit d’un "Acte de bienveillance" (p. 197-206) dont l’auteur faisait de Montesquieu le héros ; récit qui sera repris dix ans plus tard par L.-S. Mercier pour en faire le sujet d’une pièce en trois actes, Montesquieu à Marseille (Lausanne, 1784 ; Paris, 1785), ainsi que par Joseph Pilhes qui en fit une autre pièce en 3 actes, Le Bienfait anonyme (Paris, 1785).
Désormais amplifiée, la légende sera adoptée par les historiens du XIXe siècle, y compris par le premier biographe de Montesquieu, Louis Vian (Histoire de Montesquieu, Paris, Didier, 1878).
Ce n’est qu’en 1907 que l’érudit Raymond Céleste en relèvera toutes les incohérences avec brio dans son essai "Montesquieu. Légende. - Histoire." (Archives historiques de la Gironde, 1907, t. XLII, pp. 491-497).
Céleste concluait son essai en se demandant comment cette légende avait bien pu naître.
La réponse se trouvait cachée depuis deux siècles et demi dans la livraison du Mercure de France suivant (juin 1775) où l’étourdi auteur de l’histoire avait fait publier une lettre (p. 195-196) dans laquelle il avouait ingénument à propos de son article du mois précédent :
"il s’est glissé quelques fautes, dont une surtout, doit être relevée".
Et il continue : "... ce n’est plus de l’Esprit des Loix ni de son Auteur dont il est question, mais de feu M. Helvetius. Auteur du livre De l’Esprit, non moins digne, par sa bienfaisance, de l’admiration universelle...".
Pourtant, consultés, deux spécialistes d’Helvetius considèrent que cette attribution n’est guère plus plausible que la première.
L’auteur du conte, un M. Mingard dont nous ne savons rien de précis, aurait il alors servi une double supercherie aux lecteurs du Mercure de France ?