Hommage à Pierre Rétat (1932-2018)
Hommage à Pierre Rétat (1932-2018)
Pierre Rétat nous a quittés le 17 juin 2018, une semaine après avoir démissionné de la direction des Œuvres complètes pour raisons de santé.
Son rôle dans la Société Montesquieu et dans l’édition des Œuvres complètes a été considérable. Membre fondateur de la Société, membre du comité de direction de l’édition, il a dirigé les deux tomes des Œuvres et écrits divers (t. VIII et IX, 2003 et 2006), puis la Défense de l’Esprit des lois (t. VII, 2010) : volumes difficiles, composés d’œuvres très différentes, confiées à des auteurs nombreux, qu’il a su coordonner, et suppléer quand il le fallait.
Dans le récent volume des Extraits et notes de lecture (t. XVII, 2017), il s’était chargé d’une partie difficile à plus d’un titre, les Notes sur Cicéron, pour lesquelles sa connaissance de Bayle et du mouvement des idées du premier XVIIIe siècle le recommandait tout particulièrement : il renouait ainsi avec ses premières recherches, tout en enrichissant constamment sa pratique d’éditeur d’une maîtrise incomparable de la presse d’Ancien Régime, domaine que ses travaux, en collaboration avec Jean Sgard, avaient profondément renouvelé.
Il assumait aussi avec une énergie et un courage sans faille la codirection de l’édition depuis qu’en décembre 2004, Jean Ehrard avait décidé de s’en retirer. Il a su prendre des décisions difficiles et faire les choix nécessaires pour maintenir le cap des Œuvres complètes, unissant fermeté et diplomatie, mesurant les enjeux d’une entreprise collective de longue haleine, qu’il avait à cœur de maintenir au plus haut niveau – celui qui était le sien.
Ce grand savant au jugement si sûr était aussi un homme de bien, attentif aux autres, discret, plein d’humour et parfois d’ironie envers certains rites universitaires et les grandeurs supposées de ce monde. Il n’aimait pas les hommages, qu’il jugeait convenus ; mais comment ne pas lui rendre celui qu’il mérite ?
La Société Montesquieu, soutenue par l’IHRIM (UMR 5317), ne pouvait mieux faire qu’en republiant les articles et introductions qu’il a consacrés à Montesquieu, en les accompagnant d’une bibliographie, que nous espérons complète, de ses publications. Ceux qui le connaissaient retrouveront sa finesse d’analyse et son incomparable connaissance d’un XVIIIe siècle qu’il avait découvert grâce aux Pensées de Montesquieu ; ceux qui ne le connaissaient pas découvriront un guide sûr, un esprit ferme et prudent, dont la modestie ne pouvait cacher qu’il était un des meilleurs spécialistes de l’auteur qui nous réunit.
Cet ensemble s’ouvre avec les « Confessions d’un dix-huitiémiste » où il évoque la naissance d’une vocation. Tout naît parmi les arbres de Compiègne, et bientôt il ouvre des voies peu frayées, pour dégager les principes d’une pensée subtile qui par là-même l’a séduit et restituer l’énergie d’une écriture à laquelle il donne tout son sens. Attentif à l’histoire des textes et des interprétations, il ne manque pas d’en souligner les pesanteurs, les nouveautés et les infléchissements : l’édition critique est aussi pour lui l’exercice salutaire d’un retour au texte, dépouillé des traditions auxquelles il reprochait souvent d’empêcher de penser. Penser avec Montesquieu, penser Montesquieu : ce travail se déploie sur près de quarante années, jusqu’à l’article « Philosophie de Montesquieu », où se condensent une intelligence et un savoir qui jamais n’excluent un peu de malice.