Dynamiques des empires et dynamiques du commerce : inflexions de la pensée de Montesquieu (1734-1802)

, par Platania, Marco

p. 43-66

Résumé

Le développement des études sur le problème
de l’empire dans l’histoire et dans la culture
de l’époque moderne invite à une réappréciation de la pensée de Montesquieu à ce sujet.
Tout d’abord cet article fait le point des dynamiques des empires anciens et modernes
envisagées par Montesquieu (l’empire romain,
celui d’Alexandre, les empires asiatiques,
l’empire espagnol de l’Amérique du Sud, et
finalement la monarchie universelle depuis
Charlemagne jusqu’à son époque). Cette
analyse amène Montesquieu à conclure que
l’avènement des empires n’est plus possible
en Europe, alors que ceux-ci règnent encore
en Asie. Le processus de formation et de
maintien des empires par les guerres et par les
conquêtes s’en trouve discrédité, et Montesquieu souligne le rôle du commerce dans le
gouvernement intérieur et dans l’équilibre
international (« doux commerce »). Mais jusqu’à quel point le commerce peut-il vraiment
repousser les guerres et la domination ? La
seconde partie de cette étude souligne certaines inflexions, voire tensions dans cette opposition apparemment cohérente entre commerce et guerres ; la réflexion sur les
contraintes et les nécessités liées à la guerre de
Sept Ans entraîne les contemporains à développer très vite une conscience critique des
ambiguïtés, des paradoxes et des effets négatifs des pratiques du commerce. La question
peut bien être posée si le XVIIIe siècle envisageait le commerce comme « doux » (aux prix de quelques réformes des abus) ou si cette
douceur était considérée plutôt comme un
mirage, et soulevait des positions polémiques.

Abstract

The recent stream of studies on « empire » in
eighteenth century history and culture draws
our attention to Montesquieu’s thought on
subject. This article focuses on the dynamics
of ancient and modern empires as described
by Montesquieu (with reference to Roman
empire vs. Alexandrian empire, Asian Empires, Hispanic empires of South America, and
finally the « Monarchie Universelle » from
Charlemagne up to his times) and points out
his contribution to the idea that the maintenance of large empires premised upon politi-
cal and social uniformity is no longer possible
in Europe, while it still predominates in
Asian countries. The process of empire-building through conquest and war is discarded
by Montesquieu, who underlines the dominant role of commerce in international affairs
of his day (« doux commerce »). But how far is
commerce incompatible with war and
empire ? The second section of this study analyzes some tensions of this only apparently
coherent intellectual opposition between
commerce and war, showing how the analysis
of political and historical constraints related
to the Seven year war led the writers to develop a sharp consciousness of ambiguities and
paradoxical counter-effects of practices of
commerce. It is possible to question whether
« doux commerce » was, in the eighteenth
century, a positive belief. It was, this paper
suggests, a mirage that often functioned as a
critical category.