Montesquieu, l’Europe et les nouvelles figures de l’empire
p. 17-42
Résumé
Dans L’Esprit des lois, l’Europe advient
comme sujet de l’histoire afin de conjurer un
certain type d’empire, puisque « un grand
empire suppose une autorité despotique dans
celui qui gouverne ». L’hypothèse de cet article est la suivante : loin de toute condamnation radicale, L’Esprit des lois distingue deux
figures de l’empire, terrestre et maritime, l’un
conduisant à la misère et à la servitude, l’autre à la puissance et à la liberté. Empires terrestres et empires maritimes constituent deux horizons possibles de la modernité. Cependant, il convient de se demander si l’Europe n’a pas été détournée du rêve de l’unité impériale
pour reconstituer, hors de son territoire, de nouvelles formes d’empires. Faut-il reconduire ici la critique classique des Lumières – le projet d’émancipation de la modernité
étant le vecteur d’une dialectique négative,
porteur de formes de domination plus insidieuses que celles qu’il prétend abolir ? Le commerce, qui contribue à éviter la violence
sur le sol européen, ne conduit-il pas à exporter dans le reste du monde les luttes inhérentes à l’empire ?
Abstract
In The Spirit of the laws, Europe is a made the
subject of history in order to exorcise a certain kind of empire, since « a great empire supposes a despotic authority in those in
charge of the government ». The thesis of this
paper is as follows : far from any radical disqualification of empires, The Spirit of the laws
distinguishes two forms of them : the terrestrial on the one hand and the maritime on
the other hand. The first one leads to affliction and slavery, while the other leads to
power and liberty. Terrestrial and maritime
empires are the two possible horizons for
modernity. However one may ask whether
Europe has been diverted from its dream of
imperial unity only to build again, outside its
limits, new forms of empires. Is it a case
where the traditional critique of the Enlightenments holds ? Isn’t the project of emancipation of modernity the instrument of a
negative dialectics, carrying forms of domination even more insidious than the ones
that it purports to abolish ? Is it not the case
that commerce, which contributes to ward
off violence from the European soil, exports
in the rest of the world struggles that are
inherent within the empire ?