Avis concernant l’article “Montesquieu” dans Wikipédia (en français)

, par Volpilhac-Auger, Catherine

Avis concernant l’article “Montesquieu” dans Wikipédia (en français)

On constate que l’article “Montesquieu” dans Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Montesquieu) a été récemment victime d’un sabotage perpétré par une personne inconnue qui, outre le rétablissement de quelques vieux mythes (sa cécité, par exemple), a inséré une diatribe sur l’esclavage, dont Montesquieu est représenté comme le champion. Par souci de bonne apparence, cette partie de l’article est farcie de citations dont certaines sont fausses et même frauduleuses. Considérez, par exemple, ces deux cas où Jaucourt est cité (en fait, ces deux endroits ont déjà été corrigés en ligne par nos soins) :

1. Et cette position de principe qui serait, tout au plus, conforme à « l’air du temps », a été vivement réprouvée par nombre de ses contemporains, à l’exemple du Chevalier Louis de Jaucourt qui se refusait « à loüer la solidité de ses principes » pour ne « rien ajoûter à sa gloire ».

Une note renvoie au passage suivant de l’article « Esclavage » de l’Encyclopédie (t. V, p. 934), lequel, en dépit des guillemets, dit tout le contraire :
« L’esclavage est l’établissement d’un droit fondé sur la force, lequel droit rend un homme tellement propre à un autre homme, qu’il est le maître absolu de sa vie, de ses biens, & de sa liberté.
« Cette définition convient presque également à l’esclavage civil, & à l’esclavage politique : pour en crayonner l’origine, la nature, & le fondement, j’emprunterai bien des choses de l’auteur de l’esprit des lois , sans m’arrêter à loüer la solidité de ses principes, parce que je ne peux rien ajoûter à sa gloire. »

2. Sade ne voyait dans cette « convention réciproque » entre maître et esclave soutenue par Montesquieu rien d’autre qu’un « sophisme ». […] Est-il au monde un sophisme plus grand que celui-là ? Jamais la justice ne fut un rapport de convenances existant réellement entre deux choses. » Condorcet a, lui aussi, après le Chevalier de Jaucourt, dénoncé ce « sophisme », pour conclure […]
En note ce passage du tome V, p. 938 : « Enfin c’est se joüer des mots, ou plutôt se moquer, que d’écrire, comme a fait un de nos auteurs modernes, qu’il y a de la petitesse d’esprit à imaginer que ce soit dégrader l’humanité que d’avoir des esclaves, parce que la liberté dont chaque européen croit joüir, n’est autre chose que le pouvoir de rompre sa chaîne, pour se donner un nouveau maître ; comme si la chaîne d’un européen étoit la même que celle d’un esclave de nos colonies : on voit bien que cet auteur n’a jamais été mis en esclavage. »
Ici la citation est exacte mais non le contexte, où non seulement Jaucourt ne se sert pas de ce mot mais exprime sa totale solidarité avec les prises de position de Montesquieu.
Bref, cet article est trop comblé d’erreurs et de faussetés pour être utilisé.

David Carrithers david-carrithers@utc.edu
Philip Stewart pstewart@duke.edu