Nouvelle publication : une biographie de Montesquieu en polonais Podróż Monteskiusza. Biografia przestrzenna ( Le voyage de Montesquieu. Biographie spatiale) par Pawel Matyaszewski
Ne pouvant offrir de présentation en polonais de cette biographie, due à Pawel Matyaszewski, professeur de littérature française (Institut de Philologie Romane, université catholique de Lublin, Pologne), nous en fournissons ici la table des matières en français, ainsi que le résumé.
Le voyage de Montesquieu Biographie spatiale
La présente étude ambitionne d’offrir au public polonais la toute première biographie de Charles-Louis de Montesquieu (1689-1755), connu communément sous le nom polonais de Monteskiusz. Il est tout à fait inexplicable, sinon incompréhensible, que l’un des plus grands philosophes de l’Europe des Lumières, pourtant tout aussi célèbre en Pologne qu’ailleurs, n’ait jamais fait l’objet, dans notre pays, d’aucune étude biographique. On connaît très bien son nom que l’on invoque à maintes occasions, moins bien son œuvre que l’on réduit à quelques titres seulement, et encore moins, sinon guère, sa vie que l’on ignore presque complètement. Sans vouloir expliquer les raisons de cet état des choses, à la fois paradoxal et interpellant, que rien ne semble pouvoir justifier, la présente biographie tente de combler cette étrange lacune en ambitionnant de retracer, enfin, pour le lecteur polonais, l’histoire des œuvres et le tableau de la vie de Montesquieu.
Cette dernière peut être facilement divisée, semble-t-il, en trois champs spatiaux constitués par trois territoires géographiques essentiels dans sa biographie, à-savoir la Gascogne, Paris et l’Europe. Ces trois espaces topographiques expriment en même temps trois zones culturelles et civilisatrices différentes, la province, la ville et le continent. D’un côté, il s’agit des trois espaces qui se succèdent dans la vie de Montesquieu ; celui-ci naît dans la province gasconne, arrive ensuite, comme un Montaigne ou un d’Artagnan, dans la ville de Paris, afin de se rendre de là-bas à la découverte du continent européen. De l’autre, même si ces trois zones spatiales apparaissent successivement dans la vie de Montesquieu, elles sont pourtant loin de constituer, comme dans un roman à tiroirs, trois unités diachroniques distinctes dans le temps. Au contraire, sans suivre nullement une évolution chronologique consécutive et linéaire, elles s’enchaînent réciproquement et restent tout le temps en rapports d’interaction mutuelle. La biographie de Montesquieu est un voyage permanent, voire un va-et-vient pendulaire continuel entre la province natale et la capitale de la monarchie française (la chronologie détaillée de cette série de déplacements se trouve à la fin de ce livre), régulièrement interrompu par une exploration viatique personnelle de l’Europe (là aussi, on a établi un itinéraire précis de ses voyages européens), mais imprégné, sa vie durant, de la fière conviction d’être le citoyen de tout le continent. Ces trois espaces géographiques distincts embrassant plusieurs zones inférieures de moindre étendue, la vie de Montesquieu fait penser à un voyage spiral à travers ces trois unités topographiques fondamentales de son existence, elles-mêmes composées de nombreux cercles concentriques qui s’entrelacent et agissent constamment les uns sur les autres.
La structure de la présente étude reflète volontairement cette division de la vie de Montesquieu en trois champs spatiaux constitués de sphères de moindre dimension (auxquels correspond également l’histoire de ses œuvres), car elle se compose de trois parties essentielles subdivisées en chapitres. La première partie, intitulée « La Gascogne, ou l’énergie de la province », est divisée en six chapitres. Le premier, L‘espace de la province, ambitionne de présenter un bref historique de la Gascogne – nous croyons fortement que proposer au lecteur l’histoire de cette province (y compris celle de la Guyenne et de La Brède), dès les origines jusqu’aux temps de Montesquieu, pourrait contribuer à mieux comprendre la biographie de celui-ci, qui en est l’un des plus célèbres représentants. Le deuxième chapitre,« L’étendue de la généalogie », tente de retracer l’histoire de la famillle noble de Secondat, dont descend Montesquieu, de montrer le tableau de son ascension sociale, son rôle et sa position dans la province gasconne à travers le temps. Dans le troisième chapitre, « Le terrain de l’éducation », nous voudrions présenter l’histoire de la formation de Montesquieu, de sa première éducation dans un moulin de paysans gascons, en passant par son séjour au collège oratorien de Juilly, ses études de droit à Bordeaux, jusqu’à son stage d’avocat à Paris, qui clôt ce long chemin pédagogique destiné, selon la volonté de sa famille, à lui assurer une position professionnelle puissante en Gascogne. Cette dernière étape est présentée dans le chapitre quatrième, « Bordeaux-Parlement », qui montre l’ascension de Montesquieu dans les structures du parlement de Bordeaux, de sa fonction de conseiller jusqu’au rang honorable de président à mortier, tout en essayant de comprendre les raisons pour lesquelles il décide d’abandonner définitivement son poste. Le cinquième chapitre, « Bordeaux-Académie », veut prouver que la capitale de la Guyenne est aussi pour Montesquieu un lieu d’échange intellectuel capital ; c’est en effet au sein de l’académie de Bordeaux que se forge sa future gloire de savant et de philosophe - homme de lettres, sans oublier qu’il reste fidèle à cette institution durant toute sa vie. Le sixième chapitre, « Le domaine de La Brède », se concentre sur l’analyse de la vie que Montesquieu mène dans son pays natal. La Brède est non seulement le lieu de sa naissance, mais devient le synonyme de son travail intellectuel assidu dans la bibliothèque du château, de ses activités et devoirs de propriétaire terrien, surtout auprès de ses vignes, enfin de ses obligations de fils héritier et de père de famille.
La deuxième partie intitulée « Paris, ou la gravitation de la ville », qui présente l’histoire des séjours perpétuels de Montesquieu dans la capitale de la monarchie française est chronologiquement organisée autour des titres de ses trois plus célèbres œuvres. Le premier chapitre, « Dans le cercle des Lettres persanes », retrace l’histoire de l’apparition de Montesquieu dans l’espace attirant de Paris (laquelle fait étrangement penser à celle de Rica et d’Usbek, les deux héros persans de son célèbre roman), ensuite son entrée dans la vie mondaine parisienne après le succès de ses Lettres persanes, et surtout sa présence dans l’univers aristocratique de Bélébat et de Chantilly. Sans vouloir nullement minimiser l’importance de ce type de milieu social qui, inévitablement, fait penser à l’ambiance des fêtes galantes et champêtres des tableaux rococo de Watteau, le chapitre suivant, « Dans la sphère des Considérations sur les Romains » présente parallèlement l’histoire de la vie intellectuelle de Montesquieu à Paris. Il s’agit de montrer la part qu’il prend aux sociétés savantes de la capitale de la France, au Club de l’Entresol, aux salons parisiens, surtout ceux de Mesdames de Lambert, de Tencin, Geoffrin et Du Deffand, enfin à l’Académie française. Le troisième chapitre, « Dans l’orbite de L’Esprit des lois », montre avant tout la genèse du plus célèbre texte de Montesquieu, son opus magnum, l’histoire de sa composition et de sa publication, tant le contexte de son accueil favorable que celui de la querelle de l’Esprit des lois, qui éclate quelques années avant sa mort. Il est fort symbolique que celle-ci survienne à Paris et non dans sa Gascogne natale ; par là se touchent, pour ne pas dire se complètent les deux pôles principaux de l’itinéraire de sa vie dans la monarchie française.
La troisième partie intitulée « L’Europe, ou le potentiel du continent » retrace l’histoire de la série de voyages que Montesquieu effectue sa vie durant à travers quelques pays d’Europe (là, une fois de plus, on doit inévitablement évoquer les noms de Rica et d’Usbek en constatant que les personnages fictifs de son chef-d’œuvre épistolaire anticipent pour ainsi dire son propre déplacement continental). Les titres et la suite consécutive des cinq premiers chapitres correspondent entièrement à la chronologie de l’expérience viatique fondamentale de Montesquieu entre 1728 et 1731 : Autriche, Italie, Allemagne, Hollande et Angleterre. Il s’agit aussi bien de reconstruire l’itinéraire exact du périple européen de Montesquieu que de montrer le caractère spécifique et les centres d’intérêt de cette expérience, ainsi que son importance pour le système de réflexion du futur auteur de L’Esprit des lois. Même s’il faut remarquer l’impact indubitable du séjour en Italie sur la formation des idées esthétiques de Montesquieu, de même que le rôle indéniable de l’expérience anglaise dans l’évolution de ses opinions politiques (sans oublier son entrée à la Royal Society et dans la franc-maçonnerie), les cinq voyages restent tous d’une importance capitale pour lui. A cette épreuve viatique européenne constitutive nous voulons pourtant en ajouter encore une autre, celle de Lunéville, c’est-à-dire le séjour de Montesquieu en 1747 à la cour du roi de Pologne en exil, Stanislas Leszczynski, au duché de Lorraine. Même si cette expérience ne fait pas partie du fameux grand tour à travers l’Europe, elle semble pourtant s’y inscrire parfaitement bien, au point de le compléter, d’une certaine manière, plusieurs années plus tard.
On se rend facilement compte que l’optique spatio-temporelle de la présente étude brise, de propos délibéré, la perspective chonologique de la biographie. Néanmoins, il s’agit moins de suivre aveuglément l’ordre diachronique des événements et des faits que de repenser globalement la vie de Montesquieu à travers les espaces géographiques et civilisateurs qu’il découvre sur son chemin et qui, en même temps, déterminent fort son existence. Ces derniers se correspondent et se complètent parfaitement bien dans sa biographie, au point de former l’histoire intégrale d’une vie, celle d’un voyageur assidu et infatigable, ouvert à l’inconnu et à l’autre, animé par une curiosité et une mobilité permanentes. Pour Montesquieu, voyager est avant tout une attitude intellectuelle de l’homme éclairé qui, assoiffé du nouveau et de l’étranger, cherche à tout prix à s’ouvrir sur le monde et à se tourner vers autrui, à favoriser les rapports humains, à échanger des opinions, enfin à se communiquer des idées. Le Montesquieu voyageur est l’homme du monde par excellence qui, en philosophe cosmopolite des Lumières, se sent partout dans sa patrie. Néanmoins, voyager ne se réduit absolument pas chez lui à la seule manifestation de la sociabilité de l’homme éclairé. Le déplacement s’avère être pour Montesquieu une étude, voire une prise de position philosophique, une méthode de connaissance parfaite, un moyen infaillible de découvrir l’univers. Sa vie prouve clairement combien le voyage constitue à ses yeux un élément fondamental de l’investigation philosophique, un principe inébranlable de la réflexion, enfin la base fiable de toute épistémologie sérieuse. De plus, il devient pour lui le symbole de la vitalité humaine, la manifestation la plus flagrante de l’activité intellectuelle à travers laquelle s’exprime la volonté perpétuelle de l’homme d’élargir ses connaissances, d’enrichir son savoir, de développer ses horizons, afin de saisir les énigmes du globe et de ses lois. Montesquieu exprime le mieux sa propre attitude de voyageur-philosophe éclairé lorsque, pendant ses expériences viatiques, il monte sur le plus haut clocher ou sur la tour la plus élevée pour s’assurer la vue la plus large et, par là, embrasser l’ensemble du monde complexe qu’il cherche à découvrir. Dans cette attitude à la fois verticale et panoramique se reflète parfaitement le credo de la triple méthode philosophique des Lumières ; n’est-elle pas à la fois rationaliste, empirique et sensualiste ? Si l’expérience de la tour est donc pour lui-même la réalisation la plus évidente de l’investigation philosophique qui permet d’englober l’ensemble de la vérité composée de plusieurs éléments, elle pourrait en même temps servir de symbole à la présente biographie d’un homme de voyage, composée de nombreux espaces qui, pris tous ensemble, font un tout cohérent qui est celui de l’histoire de sa vie. Car, dans le cas Montesquieu, dire que celle-ci fut un voyage est plus qu’une métaphore habile, voire même plus qu’une définition exacte de son attitude philosophique d’homme des Lumières ; c’est, à vrai dire, définir l’essence même de son existence, comme le lui a très bien fait comprendre un jour madame de Lambert : « Il me semble que vous n’aimez pas séjourner même sur ce qui vous plaît : mais ce qui vous plaît ne vous plaît pas longtemps : votre bonheur n’est donc que dans l’espace et votre agitation vous tient lieu de félicité. Vous êtes brouillé avec le repos. »
Table des matières
Remerciements
Introduction
I. La Gascogne, ou l’énergie de la province
- L’espace de la province
- L’étendue de la généaologie
- Le terrain de l’éducation
- Le Parlement de Bordeaux
- L’Académie de Bordeaux
- Le domaine de la Brède
II. Paris, ou la gravitation de la ville
- Dans le cercle des « Lettres persanes »
- Dans la sphère des « Considérations sur les Romains »
- Dans l’orbite de l’ « Esprit des lois »
III. L’Europe, ou le potentiel du continent
- Autriche
- Italie
- Allemagne
- Hollande
- Angleterre
- Lorraine
Conclusion
Bibliographie
Annexe 1
Annexe 2
Le voyage de Montesquieu. Biographie spatiale. Résumé
Index des noms de personnes