Tome 2

Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence

Texte établi et présenté par Françoise Weil et Cecil P. Courtney, introductions et commentaires de Patrick Andrivet et Catherine Volpilhac-Auger ; Réflexions sur la Monarchie universelle en Europe, texte établi et présenté par Françoise Weil, introduction et commentaires de Catherine Larrère et Françoise Weil. 2000, 382 pages, 9 illustrations.

L’édition conjointe de ces textes ne doit pas surprendre, puisque Montesquieu avait d’abord fait imprimer les Réflexions à la suite des Considérations, à Amsterdam et sans nom d’auteur, avant de supprimer l’édition, dès 1734, « de peur qu’on n’interprétât mal quelques endroits ». L’introduction aux Romains comprend sept parties, rédigées par P. Andrivet, C. Volpilhac-Auger et F. Weil : naissance, principes de l’interprétation, réflexion sur la méthode historique de Montesquieu, publication, accueil, manuscrits et éditions, enfin principes de l’édition. Dès la première section, tous les éléments pertinents sont mis à la disposition du chercheur : perspective génétique, incluant de façon inédite un projet de Préface (finalement abandonné par Montesquieu), lectures et documentation, corrections liées à la crainte de la censure (sur les judicieux conseils du Père Castel) puis à la censure elle-même (en vue d’une publication avec privilège) et nouvelles éditions. L’originalité du projet de Montesquieu est ainsi mis en lumière, tant du point de vue de l’évolution interne de l’œuvre que du point de vue de son rapport aux écrits contemporains sur l’historie de Rome. Sans doute y a-t-il ici l’un des apports essentiels de cette nouvelle édition : en se donnant pour texte de base l’édition princeps de 1734 (et non, conformément à la tradition, l’édition revue et augmentée de 1748), les éditeurs ont souhaité restituer au texte toute sa vivacité et toute sa fraîcheur. Ce choix permet de réfléchir au moment inaugural d’une rupture, celle de Montesquieu avec une tradition historiographique datant de plusieurs siècles et se bornant souvent à manifester une admiration sans réserves à l’égard des Romains. L’essentiel est dit : Montesquieu n’écrit pas tant une histoire de Rome que des Considérations sur l’histoire dont l’enjeu est d’abord polémique à l’égard des historiens de Rome (ses contemporains). Considérations sur l’histoire qui dénoncent au lieu de glorifier : l’échec des Romains vient de leur réussite même et elle marque l’inanité, à long terme, d’une politique conquérante. La double démarche de l’annotation est à cet égard remarquable. Elle vise à retrouver les connaissances qu’avaient les lecteurs auxquels s’adresse Montesquieu ; aussi fallait-il retrouver les sources antiques de Montesquieu, mais aussi les ouvrages contemporains avec lesquels il dialogue constamment.

L’édition des Réflexions sur la monarchie universelle en Europe, opuscule d’une dizaine de pages, est faite quant à elle d’après l’unique imprimé dont nous disposions (seul exemplaire que Montesquieu ne fit pas détruire et dont il se servit pour son propre travail, puisque de nombreux passage en furent « mis dans les Lois »). Elle présente les mêmes caractéristiques que l’édition des Romains (les seules variantes envisagées étant apportées par le manuscrit Bodmer ainsi que par les annotations et corrections autographes sur l’exemplaire imprimé). Éditer la Monarchie universelle revient dès lors à tenter de restituer le contexte intellectuel et culturel qui présida à son élaboration, en cernant le sens qu’il convient d’accorder à l’expression de « monarchie universelle ». La triple ambition de l’annotation est conforme à cet objectif : elle entend non seulement, outre le relevé des références internes, répertorier toutes les allusions à des situations historiques concrètes et inventorier les lectures possibles de Montesquieu, mais aussi identifier les suites que purent avoir les remarques et maximes de Montesquieu au XVIIIe siècle. A la conquête militaire, Montesquieu n’oppose pas l’équilibre mais le commerce, forme nouvelle de la puissance. « Appendice » des Romains, la Monarchie universelle délivre ainsi une leçon claire aux politiques contemporains : le type d’hégémonie jadis atteinte par l’empire romain n’est plus, dans l’Europe moderne, ni possible, ni souhaitable.