Montesquieu et la métaphysique dans les Pensées

, par Spector, Céline

p. 113-134

Résumé

Au moment où écrit Montesquieu, la métaphysique
ne se définit plus, à la suite d’Aristote,
comme science des premiers principes
et des premières causes, de l’être en tant qu’être,
ni comme chez Descartes, comme fondement
de toutes les autres sciences, dont la
vérité conditionne toute autre connaissance.
À la suite de Locke notamment, elle se redéfinit
comme une physique expérimentale de
l’âme, une théorie de la genèse des idées formées
par l’esprit humain. Or les Pensées de
Montesquieu articulent deux approches, une
critique de la métaphysique traditionnelle ou
de la philosophie spéculative qui porte sur
Dieu, la conception de l’âme ou l’infini positif,
et une réflexion, libérée de tout ancrage
ontologique, sur la constitution des connaissances
à partir de l’expérience. Dans ses
Pensées, Montesquieu ne se contente pas
d’élaborer une critique de la philosophie malebranchiste,
jugée abstraite et visionnaire.
En substituant une investigation sur les opérations
de l’âme à une doctrine des facultés,
les Pensées explorent la genèse sensualiste des jugements et esquissent une histoire naturelle
de l’âme, sans pour autant interroger les limites
des connaissances humaines, mais pour
mettre en lumière une genèse de la sensibilité
que Locke avait exclue de son investigation.

Abstract

At the time when Montesquieu wrote, metaphysics
was no longer defined, following
Aristotle, as the science of first principles and
primary causes, of being as being, nor, as in
Descartes, as the foundation of all the other
sciences, the truth of which affects all other
knowledge. Following Locke notably, it is
redefined as an experimental physics of the
soul, a theory of the genesis of the ideas framed
by the human mind. Now Montesquieu’s
Pensées articulate two approaches, one critical
of traditional metaphysics of speculative philosophy
which extends to God, the conception
of the soul or positive infinity, and a
reflection, freed from any ontological underpinning,
on the constitution of knowledge
derived from experience. In his Pensées,
Montesquieu does not settle for elaborating a
critique of Malebranchist philosophy, judged
to be abstract and visionary. By substituting
an investigation into the operations of the
soul for a doctrine of the faculties, the Pensées
explore the sensualist genesis of judgments
and sketch a natural history of the soul, without however questioning the limits of
human knowledge, but to shed light on a
genesis of sensitivity that Locke had excluded
from his investigation.