Paolo Slongo, Il movimento delle leggi. L’ordine dei costumi in Montesquieu Diego Vernazza
Paolo Slongo, Il movimento delle leggi. L’ordine dei costumi in Montesquieu, Milan, FrancoAngeli, 2015, 223 p.
Le livre de Paolo Slongo est construit à partir d’une série d’oppositions qui visent à dégager une approche globale de l’œuvre de Montesquieu. Son point de départ est la distinction entre pensées de type « legicentristes », allant de Hobbes à Rousseau, et « sociocentristes », de Burke à Durkheim. Dans cette opposition que Slongo caractérise comme « symétrique », les uns revendiquant une prédominance des lois sur les mœurs, les autres des mœurs sur les lois, Montesquieu trouverait sa place, non pas intermédiaire, mais autre, singulière.
Au cœur de cette singularité il y a la notion de « société », que Slongo développe dans les premiers chapitres du livre. La société identifiée d’abord aux « mœurs », « mode de régulation non juridique de l’espace social », mais tout de suite assimilée à la notion plus compréhensive d’« esprit général ». La société étant en somme l’ensemble d’« institutions de la vie commune », d’« institutions de la nation en général » (Slongo, p. 33). Jusqu’ici, la lecture de Slongo se place sur un plan classique : Montesquieu proposerait une définition sociale, ou socialisante, du politique, en même temps qu’une définition non juridique de la société. La « société » de Montesquieu se trouverait entre deux pôles : le « volontarisme législatif » d’un côté et l’idée d’une pure « spontanéité » des mœurs de l’autre (Slongo, p. 62). Mais le livre va plus loin : la notion même de société, irréductible à celle de société civile, trouverait son fondement dans l’idée de « sociabilité », en tant que formes, à tendance « égalitaires », de l’échange social, dont le modèle seraient les « salons » : « la norme fondamentale de ces sociétés des salons est la réciprocité, et non pas la hiérarchie. La libre circulation de la ‘conversation’ doit dépasser la réalité de la distinction sociale » (Slongo, p. 27). Dans le sillage de la lecture proposée par Céline Spector (Montesquieu. Pouvoirs, richesses et sociétés, PUF, 2004), Slongo soutient que la notion de société chez Montesquieu intègre la dimension du besoin, de l’échange social, du donner et du recevoir, ainsi que celle de la sociabilité, de la conversation civile : « Le ‘commerce’ des hommes a certainement à voir avec les besoins et leur économie, mais ces besoins dérivent à leur tour de la sociabilité, et c’est au savoir-vivre qu’il revient d’assurer, moyennant la connaissance de ce qui plaît et déplaît aux hommes, le bonheur social » (Slongo, p. 29).
Le livre de Slongo se propose ensuite de replacer la pensée de Montesquieu dans les grands débats de philosophie politique, et plus particulièrement celui des Anciens et Modernes. Pour ce faire, il avance vers une nouvelle opposition, cette fois-ci entre Hobbes et Montesquieu. Plusieurs chapitres du livre sont de ce fait consacrés à Hobbes, ou plus précisément, à une lecture de Montesquieu à partir du miroir hobbesien, et cela à fin de souligner le caractère « ancien » de la philosophie de Montesquieu : « Montesquieu oppose au rationalisme moderne le réalisme des Anciens, l’observation attentive de la constitution interne de l’Etat » (Slongo, p. 134). Dans cette voie, le Montesquieu de Slongo, s’opposant à Hobbes, retrouve Aristote, et notamment l’idée de « constitution » au sens de disposition du peuple (Slongo, p. 171). Slongo dépeint ainsi un Montesquieu qui s’éloignant aussi bien du volontarisme hobbesien que du libéralisme de l’autorégulation sociale, inviterait à penser ensemble, dans un style ancien, lois et mœurs, gouvernement et société.
Le livre de Paolo Slongo est en somme riche en hypothèses, et son style permet une lecture fluide. Il a la forme d’un essai, ce qui est fort bienvenu dans l’éventail contemporain des études sur Montesquieu. Les premiers chapitres, on l’aura deviné, ont attiré davantage notre attention, en raison des thèses qu’il apporte à la problématisation de l’idée de société chez Montesquieu, et plus généralement à la réévaluation de sa contribution à la naissance, ainsi qu’à l’avenir, de la philosophie politique des sciences sociales.