Olivier Hidalgo et Karlfriedrich Herb (dir.), Die Natur des Staates. Montesquieu zwischen Macht und Recht Jens Häseler
Olivier Hidalgo, Karlfriedrich Herb (dir.), Die Natur des Staates. Montesquieu zwischen Macht und Recht, Baden-Baden, Nomos 2009 (Staatsverständnisse, Band 20) 198 pages.
Les dix contributions réunies ici se proposent d’étudier la philosophie politique de Montesquieu à partir de sa conception de la nature de l’État. Montesquieu est inscrit par là dans la galerie des « penseurs de l’État » (Staatsdenker) des temps modernes jusqu’à nos jours qui font l’objet de la collection. Suivant cette logique, la reconstruction des principes et la réflexion sur la méthode de Montesquieu est accompagnée par une ouverture sur l’actualité de la réflexion (et de la pratique) politique.L’esquisse de la philosophie politique de Montesquieu suivant L’Esprit des lois par Olivier Hidalgo sert d’introduction aux études regroupées en trois parties, à savoir : Fondements, État et forme de gouvernement, État et citoyen. Un aperçu des grandes lignes de la réception de la pensée de Montesquieu (O. Hidalgo) clôt le volume.
Pour éclaircir les « Fondements », les trois premiers articles abordent la méthode, voire les principes de réflexion de Montesquieu en s’appuyant presqu’exclusivement sur L’Esprit des Lois. Paul-Ludwig Weinacht s’interroge dans son article-clef sur le rapport de Montesquieu au droit naturel. Andreas Blauig privilégie une perspective anthropologique, tandis que Karlfriedrich Herb entame une réflexion intéressante et comparative autour de la notion de liberté. L’article de Weinacht est fondamental en ce qu’il reprend la question de savoir si l’on peut interpréter la notion de lois (naturelles) et leur fonction dans L’Esprit des lois comme un signe de l’appartenance de Montesquieu à la tradition du droit naturel, ou s’il faut voir en lui quelqu’un qui a dépassé le cadre conceptuel du droit naturel. La discussion de cette question ouvre le chemin d’une fine analyse des composantes de droit naturel et des composantes positives dans les différentes catégories de lois. L’analyse historique et juridique de Montesquieu apparaît ainsi dans toute sa richesse grâce à la productivité d’une tradition métaphysique et fonctionnelle.
La deuxième partie intitulée « État et formes de gouvernement » offre au lecteur l’étude et la discussion du livre XI, chapitre 6, de L’Esprit des lois consacré à la constitution d’Angleterre et de la place de la monarchie et de la république dans la réflexion constitutionnelle de Montesquieu par Simone Zurbuchen. Elle discute les rapprochements de la constitution anglaise à la forme de gouvernement de la monarchie et à celle de la république tout en rappelant les arguments d’Alois Riklin en faveur d’une « constitution mêlée ». Montesquieu soulignant le long de sa discussion des différentes formes du gouvernement le caractère « modéré » ou « despotique » de leur évolution respective aurait par l’évocation du « gouvernement gothique » (XI, 8) préconisé le modèle de monarchies « modérées » en Europe occidentale. La contribution de S. Zurbuchen est suivie par l’analyse par Christophe Rude de la notion du despotisme à la fois en tant que forme de décadence de la monarchie et comme forme de gouvernement propre. Norbert Campagna contribue à cette partie centrale par un exposé lucide des idées de Montesquieu au sujet de la puissance de juger, dont il souligne la variation, voire le changement de caractère, selon chaque forme de gouvernement.
La troisième partie aborde les rapports entre « État et citoyen » d’abord sous l’angle de la religion (Hidalgo) et ensuite sous celui plus général du pluralisme résultant de la différence des mœurs (Ossewarde). Olivier Hidalgo ouvre la perspective politique afin d’aborder l’attitude de Montesquieu envers la religion. S’appuyant notamment sur les Pensées, les Lettres persanes et L’Esprit des lois, il envisage d’établir un lien entre les convictions personnelles de Montesquieu et les remarques d’après lui ambivalentes de l’auteur de L’Esprit des lois sur la religion du citoyen et le rôle de l’Église dans la discussion des formes de gouvernement. Il met en relief la vision fonctionnelle que Montesquieu a de la religion ou des religions dans un État, souligne le rôle civilisateur de la religion, et les conditions politiques de la tolérance confessionnelle. L’auteur retient de son analyse que les réflexions de Montesquieu sur le rôle qu’une religion « idéale » pourrait jouer dans l’État et sur la qualité du rapport entre les citoyens et l’État peuvent être considérées comme éléments de description d’une religion civile avant la lettre. Une telle conception lui permettrait de conserver les atouts des républiques anciennes (orientation vers le bien commun, la vertu et la participation politique) sans renoncer aux idées modernes de liberté et bonheur individuelles. Cette ouverture argumentative enrichissante et systématique aurait sans doute gagné en profondeur si elle avait prise en compte l’évolution historique précise et la dynamique propre des idées de Montesquieu sur la religion.
M.R.R. Ossewaarde reprend la problématique des rapports entre les formes de gouvernement, les lois et l’esprit des nations (soulignant le rôle de commerce et des corps intermédiaires), afin de démontrer dans sa contribution en anglais le fonds pluraliste de la démarche politique de Montesquieu qu’il qualifie finalement de « Aristotelian pluralist » afin de le distinguer de penseurs comme Locke et Spinoza.
Les contributions de ce recueil offrent une variété d’approches de la pensée politique de Montesquieu. L’aspect central – le rapport entre formes du gouvernement, pouvoir, lois et liberté – constitue en quelque sorte le fil rouge de l’ouvrage qui privilégie une analyse systématique de la pensée de Montesquieu à partir de L’Esprit des lois. Aussi la conclusion, due à Olivier Hidalgo, tente-t-elle de dégager certaines perspectives de réception à partir des analyses précédentes, regroupées sous « Démocratie et division du pouvoir », « Liberté et despotisme », « L’esprit général et la sociologie de l’État ». Les impulsions multiples de la pensée de Montesquieu en font non seulement un philosophe politique ou « penseur de l’État » dont on retient la théorie des formes de gouvernement et de la division des pouvoirs, mais aussi un précurseur, par exemple de la théorie du totalitarisme et de la sociologie.
L’effort de reconstruction systématique de la théorie politique de Montesquieu et l’ouverture sur un horizon d’actualité qui caractérisent l’ouvrage en font une clef intéressante pour les débats autour de L’Esprit des lois. Nous regrettons le manque d’une bibliographie synthétique et l’absence d’informations concernant la traduction et la réception concrètes des textes de Montesquieu dans l’espace germanophone.
Université de Potsdam