Montesquieu, My Thoughts, traduction de Henry C. Clark Philip Stewart
Montesquieu, My Thoughts, traduction de Henry C. Clark, Indianapolis, Liberty Fund, 2012.
On ne peut que savoir gré au professeur américain de l’université Clemson (Caroline du Sud) qui s’est donné pour tâche de traduire ces 678 pages, et à la fondation qui les a publiées. Le texte (déjà modernisé) comme les notes sont empruntés à l’édition procurée par Louis Desgraves pour la collection « Bouquins » chez Robert Laffont en 1991. En plus des notes de L. Desgraves, dont on connaît les qualités et les limites, Henry Clark en a ajouté un certain nombre d’autres, surtout des renvois ; il a fourni de plus une table thématique assez maigre, une table de concordance (empruntée à Desgraves) entre les premières éditions et celle-ci, et soixante-huit pages d’index qui ne doivent rien à Desgraves.
Les Pensées sont souvent difficiles de lecture et partant problématiques, cela va sans dire, pour le traducteur. Celui-ci, consciencieux, reste près du texte ; le plus souvent il s’en tire bien mais non sans exception. Prenons un exemple : « Les brebis ne crient pas quand on les écorche, parce que les cris ne sont pas, dans leur machine, l’expression de la douleur » (no 425), qu’il rend ainsi : « Sheep do not cry when they are fleeced, because in their machinery, crying is not an expression of pain. » L’essentiel de l’observation survit sans doute, mais il y a d’abord une erreur lexicale, car le verbe fleece veut dire tondre et non écorcher ; ensuite un défaut sémantique, car machine à l’époque cartésienne renvoie au rapport des os, nerfs et muscles. En l’occurrence le sens passe mais il faut avouer que their machinery ne veut vraiment rien dire de bien clair en anglais. Et lorsque Henry Clark traduit « quand la religion chrétienne serait fausse, il faudrait la garder » (no 421) par « if the Christian religion were false, it should still be protected », on voit qu’il n’a pas toujours un sens très sûr du français, bien qu’il le possède plutôt bien en général. Quand il écrit : « One must not put vinegar in one’s writings ; one must put salt » pour « Il ne faut pas mettre du vinaigre dans ses écrits ; il faut y mettre du sel » (no 2012), il faut reconnaître que vinegar dans ce sens n’a pas tout à fait les mêmes connotations qu’en français, et qu’à la chute de la phrase on ne perçoit que le chlorure de potassium, et non le sel attique.
Sans doute cela n’est-il pas très grave, et souvent le sens est communiqué pour l’essentiel, même quand la grammaire est légèrement bousculée. L’article suivant, par exemple, concerne les adaptations naturelles : « Les dents des rats leur préparent le papier ; celles du lapin, les écorces des arbres ; celles des loups leur préparent des viandes » (no 2013). Or tout en gardant la séquence et le sens de ces exemples, le traducteur renverse complètement (se trompe sur ?) la syntaxe : « Rats’ teeth prepare them for paper ; the rabbits’, tree bark ; the wolves’ prepare them for meat. »
Au fond cela se lit tout à fait convenablement, ce qui est déjà un fort avantage, et on peut sans scrupule recommander ce volume à ceux qui auraient du mal à assimiler le tout dans la langue de l’auteur.
Philip Stewart
Duke University